La gourmandise du confinement, le pain quotidien

Il n’y a qu’une façon pour moi, visiblement, de ne pas céder à la peur : faire du pain.

La vie a changé, le blog est resté. J’y reviens comme dans un pays étranger, ou dans une maison où le temps s’est figé.

Il n’y a pas très longtemps je lisais je ne sais plus où ni de qui, pardon, que le passé est un rétroviseur et l’avenir le pare-brise. Pas très poétique, mais clair, le passé est une petite image qui nous reste en mémoire, alors que l’horizon peut se déployer devant nous.

Toute la planète, et c’est fou de penser que TOUS nous vivons la même chose, vit un moment extraordinaire, en espérant que cela reste extraordinaire.

Tous, nous avons peur pour nos proches, tous nous avons pu douter, tous nous sommes sidérés.

J’ai la chance de vivre dans un lieu où le confinement ne peut pas être plus proche de la sensation de vacances. J’habite également sur mon lieu de travail.

Ma vie ne peut pas être plus semblable à celle d’hier.

Sauf que tout a changé.

C’est le troisième jour de confinement total, et j’ai l’impression que ça fait un siècle.

Je n’arrive pas à me concentrer vraiment sur ce que j’ai à faire, je commence des textes, je les efface d’un reset péremptoire, et tant pis, et tant mieux, et qu’en sais-je.

Dehors, un des chênes refait sa toison, il est superbe en vert tendre, on dirait qu’il n’attendait que ça.

Ceci dit, j’oublie que c’est un blog de recette, à l’origine un livre, une recette.

J’ai commencé un livre à la fois poétique, et d’un bon sens optimiste :

« La forêt amante de la mer «  de Shigeatsu Hatakeyama.

C’est un peu le retour aux origines, à la source, du comment du pourquoi. Un navire traditionnel en bois « wasen » est une forêt flottant sur la mer. Tout découle de la forêt.

Et dans mon métier, ce qui s’en est éloigné, a perdu de son sens et de sa substance.

Alors, dans ces moments où l’on se doit de s’éviter les uns, les autres, pour se protéger, j’ai recommencé à faire du pain. Comme si pétrir et former, regarder grandir et lever, pouvait faire croire aux possibles. Et le parfum… qui cueille toujours au moment où l’on s’y attend le moins.

Mon levain de l’automne hiberne encore au frais, je n’ai pas encore eu le goût de le revigorer, mais j’ai toujours du levain fermentescible dans la porte du réfrigérateur.

Même qu’il est périmé de 2018…

Rappelle toi, ça doit être dans les archives tout ça, il faut :

350 g d’eau 

500 g de farine.s avec toujours une majorité panifiable (l’autre jour j’ai terminé les fonds, et aujourd’hui, c’était 300 T 65 et 200 d’épeautre complet.)

25 g de levain fermentescible donc.

5 à 8 g de sel en fonction des habitudes de la maison.

Si tu as le temps, et tu l’as, d’abord laisser faire l’autolyse en trempant la farine dans l’eau, mélangeant un peu, et laisser poser une heure.

Puis ajouter le levain, le sel.

J’ai risqué une poignée de raisins, et j’ai eu raison, c’était très bon.

Mélanger, au crochet, à la main, jusqu’à homogénéiser l’ensemble et oublier jusqu’à demain (j’ai commencé à 17h et façonné le lendemain à 9:00)

Poser sur une surface légèrement farinée, façonner, oublier une heure ou deux.

Préchauffer le four à 250, re façonner si besoin, grigner, enfourner avec la petite giclette d’eau pour former vapeur et baisser à 220, pour 25 mn.

C’est facile et c’est incomparablement bon de faire son pain en attendant de le partager avec les co-pains.

Remettre les pieds dans les plats?

Il a fallu que je prenne rendez vous avec moi même.

17:30, en cuisine.

Il aurait même fallu que je le note sur l’agenda, mais ce n’est pas professionnel, et il aurait fallu que je sois sûre que ce soit possible. Ce rendez vous avec moi même.

Nez en moins, j’ai posé l’engin sur la chaîne et cherché la musique adéquate. Celle dont je pensais avoir besoin, celle qui déclenche le travail des mains.

Parce que je sais depuis plus de deux ans maintenant, que le travail manuel se fait mieux en rythme, que la tête s’évade, l’esprit s’envole, et montent les pâtes à gâteaux.

Refaire un gâteau.

Juste pour voir si j’en étais encore capable. Un gâteau pour rien, ni pour un anniversaire, ni parce qu’on attends du monde, un gâteau rien que pour lui, le malaxer, le voir grandir, le humer, l’enfourner, le veiller, le pointer, le faire refroidir, attendre.

Attendre.

La patience. L’impatience. Le temps.

 

C’est après tout cela que je cours, et cours encore.

Mes gâteaux quotidiens sont devenus semestriels, mes éditions, annuelles. On dirait que mon avenir est celui de la presse papier, soumis aux aléas économiques.

C’est un choix de vie.

Pourtant, je dis encore parfois, ah mais si, ce gâteau là je l’ai déjà fait, si, mais comment tesse enfin? Où?

J’ai passé 15 minutes, montre en main, avant de retrouver les identifiants d’ici. Tu vois. Oublier ses mots de passe c’est oublier la clé de la maison. J’ai fini par la retrouver, dans la gouttière.

Bref.

Tout ça pour dire que j’étais à l’heure.

J’avais même sorti les ingrédients dans le cours de la journée.

‘Je n’avais pas tout ce qu’il me fallait, mais c’était histoire de voir si je pouvais imaginer le moyen de remplacer le manque.

J’étais à l’heure, et la musique aussi.

Dont le robot a caché la mélodie, le temps de fouetter.

Tant et si bien, que je n’ai même pas entendu la belle sœur entrer avec l’homme.

Je savais qu’il fallait prendre rendez-vous, je savais aussi que c’était illusoire d’espérer rester seule le temps de mon office.

J’ai mis la pâte dans le moule. J’ai enfourné. Et je les ai rejoins pour le café.

Tu vois, j’ai pu refaire une recette d’ici, peu importe laquelle, c’est juste d’avoir pu remettre les pieds dans l’office sans qu’il soit bureau, juste d’avoir déclaré à moi-même qu’il ne fallait pas s’oublier.

Un pieds dans le plat, la tête libre, pour se nourrir de plaisir.

Je reviendrai.

Avec des photos.

Parce qu’il ne faut quand même pas croire que j’aurais pu imaginer faire des photos…

image

Te souviens tu de moi?

Du pieds de l’arbre et du ciel en émoi?

Te souviens tu des jours paisibles?

De ceux qui ne s’oublient pas?

Un pas et encore un pas, j’avance.